Manuel de zoologie fantastique

De Jorge Luis Borges et Margarita Guerrero. Julliard, 1965, 206 p.
12,00 €

Excellent état général. Quelques soulignages dans les premières pages.

Édition originale française.

Traduit de l'espagnol par Gonzalo Estrada et Yves Péneau.

Dessins originaux de Rodolfo Nieto.

Le Manuel de zoologie fantastique de Jorge Luis Borges et Margarita Guerrero, que publient aujourd'hui les éditions Julliard sous le sigle des « Lettres Nouvelles ». pose une de ces énigmes dont Borges lui-même feint de raffoler lorsqu'il rend compte de livres inventés ou peut-être réels. Car quelle est dans cette double signature, qui s'étale dans le même caractère au fronton de l'ouvrage, la part de Jorge Luis Borges et celle de Margarita Guerrero dont nous ne savons rien ? Le style et certaines indiscrétions trahissent l'énigme. Margarita Guerrero prêta ses yeux au maître aveugle et tint peut-être sa plume. Car le livre, qui se présente à la manière d'un bref dictionnaire ou plutôt d'un Buffon abrégé du fantastique, se divise en deux catégories de textes : ceux qui, sans conteste possible jaillirent de l'imagination paradoxale de Borges et ceux que sa mémoire ou sa culture empruntèrent à d'autres écrivains ou aux mythes. On retrouve dans les premiers la trace de l'humour héroïque et amer de l'écrivain argentin :

« Tchouang-Tcheou nous parle d'un homme tenace qui, au bout de trois pénibles années, maîtrisa l'art de tuer les dragons et qui, dans le restant de ses jours, ne trouva pas une seule occasion de le mettre en pratique. »

Si donc, l'ouvrage est nécessaire au borgesien, il décevra l'amateur de zoologie fantastique et laissera sur sa faim la naturaliste en quête d'un bestiaire de l'imaginaire. Il couvre certes une longue période de temps et un immense horizon de civilisation : de l'antiquité classique à notre moderne science-fiction (représentée ici par C.S. Lewis), de l'Assyrie à la Chine. Mais, précisément en raison de cette étendue, il donne à regretter que les lambeaux de la riche tapisserie qui nous est ici présentée soient si rares. On dirait, à lire ce Borges, que les bibliothèques se sont effacées déjà de l'héritage des hommes et qu'il n'en subsiste dans les souvenirs que quelques vestiges pâlis, épars, clairsemés. Une porte monumentale, encadrée de sphinx, s'est ouverte, mais elle ne donne encore que sur une pauvre galerie. Il faudra bien la meubler et produire un jour un Bestiaire Fantastique qui soit assez complet pour ranger, à côté des monstres de la légende, ceux de la science-fiction.

Et l'on découvrira peut-être alors ce qu'on présume à la lecture du Borges : c'est que les monstres des mythologies anciennes pèchent au regard de nos monstres modernes par la pauvreté, de deux manières. D'abord, ils sont peu nombreux. En moins d'un siècle, la science-fiction a dû produire plus d'êtres aux noms éclatants et aux formes fortement dessinées que les mythologies de vingt peuples en presque autant de millénaires. Ensuite, ce sont des monstres composites, agrégats rarement réussis d'espèces animales plus ordinaires, et dont seuls quelques-uns, le centaure, la licorne, peut-être le griffon, ont reçu des siècles assez de patine pour devenir plausibles. Nos monstres modernes, pour n'être pas le produit des copulations insensées des dieux, ont souvent plus de cohérence. Que l'on songe à ceux qui sont issus de la cervelle d'un Van Vogt et qui dament aisément le pion à toutes les chimères.

C'est que le monstre, comme toute création de l'imaginaire, s'enrichit prodigieusement de la connaissance. Une meilleure idée de la réalité recule les bornes du cauchemar. C'est pourquoi l'entreprise qui consiste en l'établissement d'une zoologie fantastique est une œuvre infinie et les collections de cette ménagerie s'augmenteront sans cesse. Le jour viendra vite où un homme pourra s'enorgueillir, plus que de toute autre conquête, d'avoir donné à la postérité une espèce inventée. La zoologie fantastique s'augmente, comme le langage, de l'exploration des espaces qui demeurent à côté des définitions et des descriptions.

Julliard, 1965, 206 p.

Auteur
Jorge Luis Borges
Margarita Guerrero
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