Les Pyrénées au temps des montreurs d'ours

Petites traces d'usure sans gravité aux angles. Belle mention manuscrite en première page

Collection "Portraits, scènes et petits métiers".

À l'aube du XXe siècle, lorsque les premiers chasseurs d'images se mirent à parcourir les vallées des Pyrénées, ils rencontrèrent les dernières cohortes de Catalans et d'Aragonais qui franchissaient les cols pour venir commercer dans les villes et les villages du bas pays.

Des plages du Roussillon aux ports de l'Atlantique, de l'ancien comté de Foix au Pays Basque en franchissant le Couserans, le Comminges, le Bigorre et le Béarn, les photographes se lancèrent à l'assaut de la montagne, saisissant à jamais les scènes les plus extraordinaires et les personnages les plus pittoresques qu'il leur fut donné de rencontrer.

Leurs pérégrinations à travers les routes poudreuses et les sentiers arides nous ont valu le reportage le plus réaliste qui ait jamais été effectué jusqu'alors. Abandonnant les outrances des peintres ou des dessinateurs de la période romantique, ces nouveaux magiciens rapportèrent de leurs voyages des scènes étonnantes, des portraits d'une rare originalité, des tableaux enfin d'une contrée ignorée des gens de la plaine et des citadins.

Ils étaient sans nul doute à cent lieues de penser qu'ils faisaient œuvre d'historiens en recueillant à la volée le souffle encore tiède de ces personnages de légende. Mieux encore, ils dépassaient les historiens en restituant les visages, les gestes, bref la vie même au début du siècle.

Leurs clichés dispersés à tous vents par la volonté des correspondants et les hasards de la distribution postale sont restés enfouis pendant des décennies dans les armoires ou les greniers avant de sortir de l'oubli. Il a fallu toute la patience, toute la passion, tout l'attachement apportés par les collectionneurs à ces images du passé pour reconstituer, carte après carte, une iconographie complète, exclusive et inestimable.

Parmi tous les documents ayant trait aux Pyrénées, notre choix s'est porté sur les portraits et les petits métiers les plus représentatifs, les plus rares et, bien sûr, les plus beaux que nous ayons rassemblés, fruit du travail collectif d'une bonne quarantaine d'éditeurs.

Nous vous présentons successivement 123 clichés appartenant à l'âge d'or de la carte postale ancienne qui se situe entre 1900 et 1920. Nous avons établi à la fin du livre le Répertoire des Portraits et Petits métiers  pyrénéens : il comporte 120 petits métiers dont 80 de différents et 35 scènes ou portraits typiques dont 25 de différents.

La plupart de ces cartes sont rares, certaines sont très rares, voire même exceptionnelles. Citons-en deux : "les presseurs de fourrage" et "les laitiers de Capvern" appartenant à la prestigieuse série des types méridionaux des Éditions Labouche, qui sont venues compléter notre collection depuis la parution du précédent ouvrage Portraits et petits métiers du Pays d'Oc en 1900 consacré aux types toulousains et méridionaux.

Mais revenons aux Pyrénées et découvrons ensemble des scènes de la vie paysanne : bergers, chevriers, faucheur, faneuse, marchande de paille, éleveurs de chiens, gaveuse d'oies, maréchal-ferrant et charbonniers vivaient encore en ce début de XXe siècle au rythme des saisons ; ce sont les derniers vestiges d'une société rurale aujourd'hui presque disparue.

Voici des personnages que l'on pouvait rencontrer dans les bourgs et les villes à cette époque : blanchisseuse, crieur public, facteur, cireurs, loueur de voitures, marchands de journaux et même messieurs les agents de la sûreté, chargés de la surveillance du Roi d'Angleterre à Biarritz, faisant un brin de causette ou de cour à de jeunes marchandes de poisson. Nous côtoyons tour à tour les sandaliers et les chaudronniers du Béarn, le vannier ariégeois, le marchand de raisins aragonais, le vendeur d'ail de Rivesaltes, le savetier de Saleich, le liquoriste de Montréjeau, le fabricant de chapelets de Lourdes, le musicien d'Ax-les-Thermes et les nounous de Luchon.

Nous assistons ensuite à des scènes typiques de la vie montagnarde à l'époque où la machine n'a pas encore effectué son entrée conquérante dans les villes et sur les routes. Des hommes escaladent les cimes, juchés sur des mulets transportant de la glace naturelle ou des marchandises variées ; des équipes d'ouvriers préparent l'arrivée du chemin de fer à l'Hospitalet ; un aéronaute franchit pour la première fois la chaîne par la voie des airs ; les diligences et les fiacres voient tout juste apparaître l'avant-garde des automobiles et des cars.

C'est la vision d'un monde à la croisée des chemins, de tout un peuple en marche vers son nouveau destin. Les stations thermales reçoivent leurs bataillons de curistes, baigneurs et doucheurs se démènent comme de beaux diables, les premiers estivants commencent à s'élancer à l'assaut des rochers et des pentes enneigées. Les chasseurs d'isards, les éleveurs d'ours, les guides de haute montagne, les porteuses de fagots, l'herboriste et le marchand de fraises des bois se côtoient.

Mais le pays reste rude et austère. On y rencontre encore des hommes sauvages, des débiles et des goitreux, des gitans venus d'Espagne, des mendiants et des solitaires aux visages effrayants.

C'est le pays des montreurs d'ours, un pays qui se révèle dans toute son inquiétante diversité beaucoup mieux par l'image que par les récits des voyageurs ou des historiens,

Nous avons voulu donner à ce livre la valeur d'un témoignage. C'est la vie de tout un peuple qui est décrite par les photographies du début du siècle auxquels nous tenons à rendre hommage. C'est grâce à eux qu'aujourd'hui les Pyrénées nous dévoilent leur étonnant visage. Avec eux nous avons essayé de remonter le temps et c'est ce temps retrouvé que nous proposons à votre curiosité et à votre sensibilité.

Milan, 1988, 138 p.